[Méta-modèle] La théorie du langage créée par Noam Chomsky a des applications concrètes et cruciales en éducation populaire. Voici lesquelles.

[La première publication du 12 février 2015 a subi de grosses mises à jour suite à l’apport de différentes personnes et sources à l’été 2017.]

Il y a de la perte d’information quand on transforme une expérience en mots…

Noam_Chomsky,_2004La linguistique transformationnelle  développée depuis les années 1950 par Noam Chomsky, donne un modèle de la manière dont les vécus et expériences sont transformées en mots pour être stockés dans notre mémoire. Et inversement, comment nous traduisons, en mots, les expériences stockées. Mais le langage humain est lui-même une façon de représenter le monde, un modèle. La linguistique transformationnelle, modèle d’un modèle, est ce qu’on appelle un méta-modèle.

Parlons du vécu. Les être humains ont des limites à leur perception. Physiologiques, culturelles, ou liées à l’histoire personnelle. Chacun aura donc une représentation du monde un peu différente -voire beaucoup- de celle de son voisin. Cette représentation a une certaine stabilité. Cette stabilité est maintenue grâce- ou à cause- de la non prise en compte de certaines informations. Cette non-prise en compte se retrouve dans le langage de la personne et porte le vilain nom de “violation du méta-modèle”. Elles permettent notamment de réduire l’inconfort lié aux dissonances cognitives. Ces « arrondis de langage » sont ce qui va nous intéresser.

Déjà parce que cela va nous aider à mieux comprendre ce que c’est que cet étrange métamodèle…

On distingue quatre grands types de violations.

Chacun ayant des sous-types. Ceux-ci sont détaillés dans un article dédié.

-Les présuppositions.

-Les généralisations.

-Les omissions.

-Les distorsions.

Un exemple sera néanmoins le bienvenu.

Dans notre système représentatif, les élus et aspirants élus doivent leur légitimité au fait qu’ils sont censés porter la parole de leurs administré-e-s. Vous avez donc forcément déjà entendu des phrases du type « M.le Président, les Français n’en peuvent plus ! », « Je connais bien les Français. » Ou encore « Que veulent-ils les Français ? Je vais vous le dire… » Dans chacun de ces exemples la proposition « les français » constitue une généralisation, une violation qui consiste à prendre le tout pour une partie. La personne qui parle ne connaît certainement pas TOUS les Français et probablement certaines catégories plus que d’autres.

(Un autre exemple, une présupposition cette fois, vous est donnée à la fin de cet article.)

Un incontournable de l’éducation populaire

L’intérêt principal de connaître les types de violation du méta modèle est que ces violations sont les zones d’ombre d’un discours quel qu’il soit (y compris celui-ci ! 🙂 ) en se focalisant dessus on peut les interroger. Cette focalisation s’appelle recadrage. Le mot étant entendu selon un sens différent de celui communément admis. On ne va pas resserrer la vis comme lors de ces recadrages en entreprises. Il s’agit bien d’élargir le cadre pour aller chercher les informations qui resteraient hors champs autrement.

Cette image généralement présentée comme une allégorie des media est en fait, et surtout, la représentation du processus d'omission qui touche tout un chacun. Cette image généralement présentée comme une critique des media est en fait, et surtout, la représentation du processus d’omission qui touche tout un chacun.

On peut recadrer de nombreuses manières différentes. Le type de recadrage étant fonction du type de violation concerné. Pour en savoir plus à ce sujet, visiter les articles relatifs chaque type. Mais on peut aussi aussi envisager l’état d’esprit dans lequel on les fera, formel ou excessif.

Le questionnement formel permettra d’aller à la pêche aux informations précises. Aller à la recherche de l’implicite caché derrière l’explicite qui, souvent, est conçu pour mettre tout le monde d’accord…Tout ce qui nous intéresse au plus haut point ici…. (Absolument TOUT ce qui nous intéresse ??? 😉 )

Il sera utilisé très efficacement dans toutes les démarches d’éducation populaire cherchant à faire exprimer les populations : Enquêtes conscientisantes, porteur de parole, ou tout outil visant à créer un moment de discussion …

D’une part parce qu’il permettra d’accéder, depuis les lieux communs usuellement prononcés dans un contexte de sociabilité, à ce qui est propre à la personne, au fond de sa pensée et de ses points de vue. On aura alors une expression bien plus riche.

D’autre part, comme signalé en introduction, parce que la violation du métamodèle est un moyen de réduire l’inconfort lié à la dissonance cognitive, entre la représentation que l’on se fait du monde et les faits qui y dérogent. Or la plupart des démarches d’éducation populaire ont aussi une visée mobilisatrice. Et la mobilisation carbure aux émotions, précisément celles suscitées par la disonance cognitive. Le recadrage est mobilisateur.

On peut imaginer s’en servir sur une prise de position publique d’un élu, on pourra ainsi questionner cette prise de position. Et de question en question, remonter au vrai fond de pensée de l’interlocuteur. Et réduire les strates d’emballage des stratégies de communication qui rendent difficile, voire inutile toute discussion (Comment  défendre acceptablement une position différente d’une personne qui se réclame de “la protection de l’environnement”, de “la lutte contre la pauvreté”, ou de “la lutte contre illettrisme” ?) Attention, la plupart des dispositifs de débat en direct, dits “consultation” ou pire “co-création” ne réunissent pas les conditions nécessaires à l’utilisation optimale de cet outil. Il peut en revanche être utilisé dans une démarche d’art-activisme pour cibler de manière pertinente une action ou même pour la concevoir. En imaginant par exemple des actions basées sur le recadrage par l’excès lorsque le dialogue est impossible.

La meilleure manière de faire évoluer un point de vue

 Le recadrage par l’excès c’est la stratégie consistant à adopter le point de vue d’une personne ou d’un groupe et de le pousser à son maximum afin d’obliger l’autre à prendre lui-même le contrepied de sa position. C’est l’anecdote du veau d’Erickson et l’idée de la sollicitation paradoxale. On ne s’étendra pas la dessus ici car l’idée est simple et d’autres en parlent très bien. Un très bel exemple auront été les Manif de Droite, hélas dépassées depuis dans la réalité par la Manif pour tous et autres Civitas. Il aurait peut-être fallu être encore plus outrancier. (Était-ce possible?). Dans un style un peu différent et à valeur historique, le tract de Alice Miller expliquant en 1915 pourquoi les hommes ne doivent pas avoir le droit de vote. Suffragettes, suffragettes…

On aura compris que le recadrage permet de faire évoluer le fond en questionnant la forme. C’est d’ailleurs une erreur qu’il faut bien se garder de commettre que de rentrer sur le terrain de l’argumentation. Mais, comme l’explique Michael Shermer, les arguments et faits ne font pas changer d’avis les gens. Pire, faisant fonctionner à plein leur système de défense, incluant omissions, distorsion, généralisation, la confrontation à un argument adverse peuvent les laisser repartir plus sûr d’eux! Connaître son propre argumentaire et ses propres idées peut donner l’axe selon lequel on recadrera. Mais le choc frontal des idées est généralement contre productif. Ainsi, tout l’objet du recadrage est moins d’apporter des réponses que de remettre en question. Ce qui est déjà énorme.

Dernier argument en faveur du recadrage, s’il en fallait un, c’est que la réaction physiologique courante à celui-ci est…le rire. C’est la joie d’assister à un spectacle comique ou d’entendre un bonne blague.  Evoluer tout en se faisant plaisir, que demander de plus..? C’est aussi ce qui plaide aussi pour des actions humoristiques ou perçues comme telles. Le rire est le plus court chemin vers le changement.

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