Le Grandéba (3ere partie) : Une stratégie peut en cacher une autre…et beaucoup d’ennuis.

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Je vous en parlais en introduction, ne sous-estimez pas la capacité d’Emmanuel Macron à utiliser de manière excellente la machine à fabriquer le consentement. C’est en mettant en œuvre cette excellence qu’il a été élu.

En organisant ce débat, il conçoit un dispositif multiforme et multi-objectifs.

 

Premier objectif : Répondre à la mobilisation des Gilets Jaunes.

Cette réponse ne peut pas être ordinaire parce qu’on en est arrivé au point où la moindre prise de parole venait rajouter de l’huile sur le feu ou être invalidée du seul fait qu’elle soit émise par un représentant de la Macronie. Cette approche ordinaire, c’est celle qui a été tentée après l’approche par indifférence pure et simple. Sans succès.

Avec le dispositif Grandéba, Macron change de tactique. Comment faire en sorte de sortir d’un blocage, de donner l’impression qu’on est à l’écoute tout en pesant de tout son poids pour continuer sur la voie qui nous arrange ? La réponse est un outil utilisé très régulièrement dans la pub, qui s’utilise à chaque séance de psychothérapie : La question. Et notamment la question inductive.

La question est activatrice. Elle est beaucoup plus efficace pour faire bouger quelqu’un que de poser une affirmation qui va immédiatement stimuler des défenses caractérielles.

Exemple : « Rapidement : combien font 2 et 2 ? »… Vous avez probablement répondu 4. Ou si vous êtes un brin contrariant, il paraît qu’il y en a des comme ça dans les personnes qui m’écoutent, 3 ,6, 12… Mais vous ne vous êtes probablement pas interrogé sur la pertinence de la question en elle-même…

« Pourquoi se demander combien font 2 et 2 » est une réponse beaucoup moins intuitive. Ou encore « Je préfère parler de grammaire » en justifiant cette réponse par des argument pertinents, n’est pas facile.

La question provoque une mise en mouvement. Et si on la pose sur le bon thème, elle pousse l’interlocuteur à se balader sur le terrain qu’on veut. On y reviendra.

Et si, en plus de la poser sur le bon thème, on la pose de la bonne manière, on pousse même les gens à exprimer et à construire leur avis dans le sens qu’on désire, ça c’était la partie 2.

Le Grandéba est une opération de déblocage.

Une opération qui, de plus, est conçue pour être médiatiquement, à la hauteur de la médiatisation des gilets-jaunes.

En effet, jusqu’ici, les gilets jaunes feuilletonnent, les noms des épisodes des mobilisations Actes 1, 2, 3…10, 11 viennent consacrer cela. Feuilletonner, cela permet de surpasser les éventuels coup de com’ et harengs-fumés qui pourraient être mis au travers de la route, et qui n’ont pas manqué d’arriver, pour détourner l’attention des media.

C’est aussi une manière de se mobiliser, qui tient du piège abscons et qui, donc maintien les gens dans la rue. Pour les harengs fumés comme pour le piège abscons, je vous renvois aux minutes d‘autodéfense intellectuelle n°20 et 23 .Vous comprendrez l’intérêt d’éviter les uns et de s’enferrer dans l’autre pour mener une mobilisation durable.

Pour l’instant, vous pouvez retenir qu’en proposant un dispositif réparti sur plusieurs semaines consécutives, Emmanuel Macron reprend le même modèle.

Il donne aux media, et notamment aux chaînes d’information en continue, un point de focalisation à la hauteur des manifestations des Gilets Jaunes, à la fois par le rythme soutenu des interventions, et par leur durée. Il occupe la journée complète, puis la semaine complète, puis possiblement le mois, puis le trimestre.

En somme, il détourne l’oxygène médiatique des gilets jaunes vers lui-même par une autre proposition médiatiquement comparable, dont l’efficacité de départ tient au fait qu’il est Président de la république. On n’aurait vraiment pas eu cet effet s’il avait envoyé seulement des ministres ou des secrétaire d’état, d’autant qu’il a tout particulièrement fait en sorte jusque là, que le pouvoir soit incarné par lui-même.

Mais une fois lancé, la séquence médiatique pourra être entretenue à moindre frais, par petits coups de comm’, tweets et indignations diverses, comme par exemple cette histoire d’émission conjointe entre Hanouna et Schiappa. Où on aura l’annonce, la réaction populaire, la défense, la réaction à la défense, la défense à la réaction de la défense, #Galiléé.

C’est quasiment la fonction des Marlène Schiappa ou des Aurore-Gabriel Bergé-Attal.

Et dans une économie des media qui tient massivement au buzz sur des petites phrases, ils ne voudraient pas le faire que ça se produirait quand même. Avec le même effet : Pendant ce temps là, on parle nettement moins des Gilets Jaunes.

Première fonction.

 

2e fonction : Il redynamise sa base et s’occupe des élus locaux, particulièrement des maires.

Car on est dans le temps des municipales…  La plupart d’entre nous ne l’ont pas en tête mais en coulisse c’est déjà le grand ramdam pour 2020. Et oui, officiellement, le temps de campagne commence en novembre prochain, autant vous dire que ceux et celles qui n’auront pas avancé leurs pions dans les 6 prochains mois resteront chez eux, sauf coup de chance.

Et après les parachutages des législatives et les désillusions d’un fonctionnement pas participatif du tout, Macron doit impérativement aller remobiliser les troupes et recruter, notamment parmi les élus sortants, qui pourraient ne pas être très enthousiastes à rejoindre un mouvement antipathique.

C’est qu’à force de crever les yeux des manifestants, tout de suite, on a l’air moins gentils, bienveillants, constructifs…

Et attention, ne pas se laisser aller à imaginer que les côtes de popularité au plus bas sont un gros problème. Dans cette opération, comme dans toute opération électorale, nul besoin de convaincre tout le monde. Macron le sait tout à fait. Comme pour la présidentielle, il faut juste convaincre les quelques pourcents de personnes qui feront la différence. Et dans le cas présent ramener les brebis égarées qui, il y a quelques mois, n’aurait pas hésité à vendre leur âme pour une place dans l’organigramme de LREM.

 

Enfin, 3e fonction : Emmanuel Macron mène campagne pour les européennes qui auront lieu en mai.

Quand on regarde les thèmes proposés pour le Grandéba, on se rend compte qu’ils recouvrent à peu près ceux portés dans le clip anti-abstention lancé par le gouvernement, il y a quelques mois. Clip qu’on pouvait déjà taxer de partialité parce qu’au delà de l’abstention, il utilisait les moyens de l’État pour pousser dans l’espace médiatique les thèmes voulus par La République En Marche : l’immigration, la peur pour la démocratie, l’emploi.

Et en organisant une tournée de meetings pour Emmanuel Macron, son entourage met en avant le, quasiment seul et unique, atout de popularité de LREM, ils mettent en scène les thèmes politiques de LREM, ils les expliquent, font de la pédagogie, cultive leur image en important des méthodes courantes de l’entreprise, post-it, feutre et paperboard, bref ils font campagne. Et quand bien même ce ne serait pas leur objectif, encore une fois, c’est l’effet.

Et, contrairement à ce qu’on peut immédiatement penser, ce coup là est très TRES mal joué.

Car LREM s’expose à voir les dépenses liées à cette opération réintégrées dans les comptes de campagne.

Comme c’était arrivé à Nicolas Sarkozy en 2012.

Flashback : Alors en déplacement officiel à Toulon en journée, le président, endossait le soir le costume du candidat à sa propre succession, et avait tenu un meeting. Ses équipes avaient alors considéré que 30 % des coûts du déplacement étaient affectés au compte de campagne. Les 70 % restant étant payés par l’État.

Mais la Commission Nationale des compte de campagne considéra que les proportions étaient à l’opposé. La prise en compte de 70 % de la somme au lieu de 30, eu pour effet d’exploser le plafond légal de financement. Et d’entraîner le rejet du compte, 300 000 € d’amende, le non remboursement par l’État de 11 millions d’euros de frais de campagne, avec, à la clef, des semaines d’appel à la charité de la part du parti de droite, rappelez-vous.

Vues les dépenses imaginables pour le Grandéba et la hauteur du plafond de financement de campagne pour les européennes, Emmanuel Macron s’expose au même type de mésaventures…

Et autre problème considérable, c’est que son entourage, désormais, ce sont des gens qui travaillent pour l’État. De ce qu’on en sait aujourd’hui, ces meetings sont organisés au frais des contribuables. Et si on ne les compte pas d’emblée dans les frais de campagne, il n’est pas déraisonnable de les considérer alors comme un don de l’État à la campagne de LREM.

Or les lois de 1988, de 1990 qui ont organisé le financement public de la vie politique ; les jurisprudences qui on suivi; interdisent à toute personne morale de financer des actions de campagne. Et l’État est une personne morale et pas des moindres… Ce qui a un impact majeur sur la régularité juridique des élections européennes.

Je ne vais pas aller plus loin. Pour plus de détails, je vous renvoie à l’article l’avocat Régis De Castelnau sur son blog « Vu du droit ».

Mais dans une approche stratégique, ce 3e coup, s’il paraît très fin dans un premier temps, pourrait être très mal calculé car il ouvre la voie à des poursuites pénales, avec à la clef, des condamnations conséquentes, notamment pour l’entourage du président. Car si celui-ci peut se cacher derrière son immunité, ce n’est pas le cas de toutes les personnes ayant contribué à réalisé ces directives qui semblent illégales.

Et c’est sans parler des recours en annulation des européennes, que tout électeur pourra déposer auprès du Conseil d’État dès juin prochain.

Autant dire que du point de vue stratégique, l’opération Grandéba est surtout un grand coup de poker qui peut rapporter gros à la Macronie à courte échéance, en terme de paix sociales, voire de popularité, auprès de ses anciens déçus et leaders locaux d’opinion. Mais qui peut, à l’inverse lui coûter très cher sur le plan judiciaire et financier. Encore faut-il qu’elle considère que ce soit vraiment un problème…

(Revenez bientôt, il y aura un l=joli résumé en guise de conclusion de cette série d’articles! 🙂

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