Le réveil radieux de Dieu

Voici le billet “9h15” du site Arrêt Sur Image, en date du 20 Septembre. Je vous encourage grandement à vous abonner à ce media indépendant, tant le regard qui y est porté sur l’information est formateur d’une pensée critique et éclairant du système médiatique.

Dieu ouvrit un oeil, tendit le bras machinalement vers sa table de nuit, et atteignit à tâtons la revue de presse quotidienne que lui préparaient, toute la nuit, les stagiaires du paradis. De Son doigt divin, assis dans Son lit, il feuilleta les dépêches. Observant une immobilité respectueuse à côté de l’auguste couche, le directeur du département de la communication divine se rengorgeait néanmoins. Il était satisfait. Et manifestement, le Boss le serait aussi.

“Pas mal” laissa enfin tomber Dieu. “Ce film, là, et tout ce qui a suivi, les manifestations, les morts, les dessins dans ce journal ridicule, en Europe, c’est vraiment une bonne opération. Bien mené. On ne parle que de nous”. Tout ce que l’humanité mortelle comptait de puissants n’avait plus qu’un sujet de conversation: le dessin, en dernière page, d’un obscur journal humoristique, qui avait représenté les fesses de Mahomet, logo de l’une des filiales de l’entreprise. Même le porte-parole du président des Etats-Unis avait abordé la question. En capitaine d’industrie avisé, Dieu savait qu’il n’est qu’une règle: faire parler du produit. Le tenir en permanence sur la crète du buzz. Depuis des millénaires, Il ne redoutait rien tant que l’oubli. Car, en dépit de Sa sérénité proverbiale, Dieu était sujet à de fréquentes crises d’angoisse. Et si le produit se démodait ? Et si la clientèle cessait de croire ? Et si les jeunes générations se tournaient vers d’autres centres d’intérêt ? Mais la créativité du département marketing du Ciel semblait n’avoir pas de limites.

Son oeil s’assombrit soudain. “Que vois-je ? Une controverse sur le fait de savoir si Jesus était marié ? Aujourd’hui ?” Le directeur de com’ toussota avec embarras. “Un léger dysfonctionnement du service planning. Ca ne se reproduira pas”. Dieu était Amour, c’est une affaire entendue, mais pour autant, Il ne supportait pas l’amateurisme. Un jour, un événement: c’était la règle d’or du Département du planning théologique. Le communiquant attendit le Savon, qui ne vint pas. Le Boss était vraiment dans un bon jour.

“Le coup de génie, c’est vraiment d’avoir orchestré la concurrence entre les filiales, répéta Dieu pour la millième fois. Le jour où j’ai trouvé ça…” Le directeur de la com approuva, d’un discret signe de tête. Ne jamais contrarier les accès d’autosatisfaction du Patron. “Quand même, on a du mal à y croire, poursuivait Dieu, en enfilant le Peignoir de lumière, que lui tendaient les stagiaires du service des archanges. Leur planète fout le camp, ils sont menacés par le réchauffement, la surpopulation, l’épuisement des ressources, l’écart des richesses, et notre affaire continue de marcher, comme au premier jour”. Bien qu’habitué à la naïveté des enthousiasmes du Boss, le directeur de com’ ne pouvait s’empêcher de le regarder avec Amour. C’est ce mélange de naïveté et de cynisme, dans l’exploitation du désespoir éternel de l’humanité, qui maintenait l’entreprise à flot depuis tant de millénaires. Et lui garantissait un avenir radieux, que rien ne semblait pouvoir menacer.

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